L’abécédaire cinémocik
À mâchouiller en période d’austérité.
Voici quelques courtes réflexions, fondées ou erronées, personnelles ou générales, poétiques ou pas, qui n’ont d’autres intentions que d’interroger encore et toujours quelques enjeux cinématographiques.
Ces notes, organisées sous la forme rapide et légère de l’abécédaire, portent modestement sur plus de trente années de réflexion et de pratique cinématographiques autour notamment des notions de rythme à l’écran.
Mis à jour régulièrement, ces aphorismes feront dans l’avenir l’objet de modifications indiquées dans les commentaires qui suivent. N’hésitez pas à intervenir à votre tour.
91 entrées composent cette version.
Abstraction: ce qui est essentiellement visuel mais non figuratif, ce qui pense.
Accumulation: une sale manie ! A distinguer de la collection ou de l’obsession.
Action: le contraire de station. Mobile, immobile.
Anamorphose: ne trouve sa forme que lorsque son visuel la déforme ou se déforme volontairement.
Arrêter: stopper, en finir, interrompre. Comment stopper un dispositif en cours ? Suspendre, arrêter, souvent plus difficile que mettre en oeuvre. Définir le terme, la fin, la clôture dès la conception. Contractualiser dès l’origine un calendrier, mettre au point une séquence-temps qui encadre le dispositif.
Apparences: saisir les apparences et quoi en faire ? Transformer, manipuler, travailler, transfigurer, détourner.
Art: consolation de l’âme, “ne peut rien contre la réalité” (Romain Rolland). Le cinéma n’a-t-il pas changé le monde ? Le cinéma est-il un art ? Distinguer le cinéma industriel et commercial du cinéma de recherche, d’exploration, d’art et d’essai, expérimental et sa suite.
Architectural: apparence, structure, transparence.
Architecture: son contraire le nomadisme, forme moderne de l’aliénation. L’espace est devenu temps, durées, rythmes. Penser passé et avenir.
Caméra: dispositif de préférence monoculaire et argentique. À déclencher une fois par jour.
Cause et effet: travailler sur les causes plutôt que sur les effets.
Cinématographique: mouvement, fixité, mouvement / continu-discontinu. Cf. “Nyc Nac Solo”, “Midi pile”.
Circadien: une fois par jour, cycle d’une journée. Intoxication volontaire: déclencher une caméra argentique une fois par jour. Explorer et exploiter le résultat au bout de 27 ans.
Collection ou collectionner: réunir délibérément pour le plaisir. A distinguer de l’accumulation et de l’obsession. Addictif.
Complexité: expression de la diversité de nos états changeants, instables, éminemment riches, multiples, contradictoires, éphémères et pourtant durables, récurrents et résilients.
Continu-discontinu: cinématographique et toute forme en général. Préférer la rupture au continu, produire du continu à partir du discontinu.
Continuité sans défaut: Maurice Blanchot à propos de Kafka. “Celui-là est condamné à l’excès de la mesure et à la recherche d’une continuité sans défaut, sans lacune, sans disparate.”.
Contemplation: passivité positive, passivité volontaire. Lâcher prise.
Cycle: série, continuité, variations, période, fréquence. N’a de sens que si sa trajectoire est marquée d’un retour. Nietzsche et Sade sur la question de l’éternel retour, de la réitération sans fin. Michael Snow. Récemment Jim Jarmusch “Paterson”.
Dispositif: éloge des dispositifs. Les dispositifs producteurs d’images et de sons revendiquent l’indifférence volontaire. Ils produisent aussi bien de la banalité, de l’ordinaire que de l’extraordinaire. Source de surprises. Pour le rythmicien, il s’agit de définir à l’avance une règle du jeu qui permette le déploiement sensible de formes dont le marquage cherche à étirer le temps, les durées, les cadences, les fréquences, les cycles et les périodes des constructions et agencements produits.
Dramaturgie: à fuir, quelle qu’en soit la forme. Manipulation du récit par la narration. Évacuer toute forme de construction narrative enfermante.
Durée: subjective, élastique. Compression et dilatation, assouplissement. Étirement et/ou réduction des temps de l’expérience sensible, passé, présent, avenir. Synchronisation et désynchronisation. Seul le présent actualise les durées.
Élasticité: ce qui est déterminé du dehors ou ce qui détermine le mouvement du dehors.
Engagement esthétique: n’a d’intérêt que s’il est radical.
Engagement politique: condition sine qua non, s’oublier soi même pour mettre en avant le commun, la communauté. La véritable révolution permettrait à chacun d’atteindre son bien-être personnel après celui de la communauté.
Expérimental: Claude Bernard, Emile Zola, Marcel Proust, Michel Butor, Pierre Schaeffer,
Intelligent: (vouloir faire) Désastre du siècle. Terrorisme du sens, de la pertinence et de la rationalité. Apparences. Superficialité. Copier-coller. Proust à propos de Charlus: “De plus très intelligent, la conversation d’un homme intelligent lui était assez indifférente”.
Intervalle, interstice: l’entre deux images. L’entre deux.
Figuratif: échapper à la figuration, dépasser ou refuser la représentation, la vraisemblance, la production rationnelle de sens, l’illusion de réalité pour plonger dans la chose même, pour faire l’expérience de la sensation et de la perception pures.
Figure: simple ou composée. À tracer dans l’espace sur un paysage ou un sujet prétextes. Les figures sont des gestes ou des mouvements qui renvoient à des axes de coordonnées dans l’espace et dans le temps. Les figures simples portent sur des axes simples, les figures composées sur une variété d’axes complexes.
Fixité: l’image en projection, stoppée 24 fois par seconde. L’arrêt net d’une dynamique visuelle intense. Sérénité et plénitude de l’immobilité.
Fin: finitude. Comment arrêter les productions en cours ? Penser l’absence de terme sans limite, illimitée ou infinie ?
Flux: définition du rythme qui s’oppose aux notions classiques de mesure, de mètre. Modalité particulière du rythme.
Flux (bis): l’inverse des programmes de stock. A valoriser.
Fond: dans le monde éditorial c’est le nerf de la guerre, dans le champ de la création c’est la forme de la forme.
Fonds: patrimonial.
Forme: les formes accueillent. Elles abordent suavement, elles transportent moelleusement, elles emmènent rageusement, elles déportent soudainement.
Envelopper et développer: les formes comme rouler et dérouler.
Haïku: forme courte mêlant sens et sensible au plus haut point.
Inattendu: accident, surprise. Provoquer ou éviter l’inattendu c’est le jeu des apparences visuelles et sonores et de la perception.
Indifférence: tourner sans sujet. Déclencher une caméra une fois par jour sans intention, pour le simple geste. Indifférence au contenu, au fond, au message, à la communication.
Limpidité: de l’insuffisance (préface “Du côté de Guermantes”) / éloge de la perplexité.
Many, one, every: multitude, unique, chacun. Production foisonnante d’événements. Recherche de caractère unique et singulier. Un soin particulier est amené à chacun des éléments rencontrés.
Many, one, every (bis): multitude, unique, chacun. Abondance d’événements, d’accidents visuels et sonores mais aussi recherche de singularités et de soins pour chacune de ces manifestations.
Mécanique: s’opposerait à l’humain. Opposée à la durée chez Bergson. Éventuellement liée au temps physique d’Einstein. Rejoint et s’appuie sur la métrique par la répétition et le système. Source d’énergie fossile épuisable.
Mécanique (bis): ce qui n’est pas humain. La machine comme mise à distance, dépassement de l’humain. Inverse à la durée subjective chez Bergson. A voir davantage avec le temps physique de Einstein. Liée à la métrique, à la répétition.
Métrique: rythme primaire.
Métronome: moteur. Marquer la durée. Mesure, grille, synchronisation.
Minute: unité éventuelle ou provisoire de tournage, comme la seconde ou le photogramme.
Mise en page: nécessaire à toute mise en images et en sons. Le socle en sculpture ou son absence.
Mort: l’affaire d’une vie.
Médias et plateformes numériques: terrain de jeu en apparence inépuisable, déjà épuisé.
Obsession: perdre le contrôle, volontairement ou pas.
Patrimoine: à fouiller de fond en comble pour s’en inspirer et pour s’en dégager. On apprend de l’histoire, on ne la copie pas l’histoire.
Perplexité: inverse à la clarté, à la lisibilité, à la simplicité. Nécessaire. Plonger délibérément dans l’opacité pour révéler des gisements, découvrir des pépites, produire des surprises. Sortir de sa zone de sécurité et de confort. A l’opposé de la communication et de toute prise en compte du public.
Perspective: pas uniquement de/dans l’espace mais dans le temps.
Pertinence : grossièreté.
Pillage: se faire piller, bon signe. Partage, citation, référence.
Plaisir: sa plénitude serait le sexe ! C’est oublier “La Région Centrale” de Michael Snow. Contemplation pure.
Pneumatique: léger, aérien, détacher, dégagé. Inventer un cinéma pneumatique, porté par des anges.
Radicalité: non à la communication, oui à la création.
Radicalité personnelle: mettre fin (ralentir) positivement à la reproduction humaine, cesser de procréer, cesser d’appauvrir les ressources naturelles.
Raison: l’abandon a priori de la raison. Cf. “Le retour à la raison” de Marcel Duchamp. Non à la raison systématique bien que source de dispositifs. Ajouter du désordre à l’ordre, accueillir le chaos, produire de la perplexité.
Récit, narration, fiction, dramaturgie: l’art de la répétition depuis Aristote à nos jours. Construction d’une grande fragilité malgré son origine lointaine. Petit lait pour régression assurée.
Récurrence: ecnerrucér.
Redondance: esthétique de la redondance. Pas légère mais efficace. Se joue de la dé-synchronisation volontaire.
Rédaction: à éviter, à fuir. Préférer le visuel.
Réitération: quotidienne d’un acte, d’un geste, d’un engagement, sur le mode de la “Série circadienne”, déclencher quotidiennement une caméra de cinéma.
Relaxing: activité minimale ou maximale. Contemplation. Régime de faveur. Privilège.
Rythme: qui produit, qui agence les durées comme le mouvement l’action. Agencer des événements, si possible, visuels et sonores.
Rythmicien: coquetterie de jeunesse qui se prolonge.
Sens: tout est production de sens.
Sensible: ce qui excède le sens, en deçà et au delà de toute signification. Forme de la forme.
Sensation: saisie du sensible.
Série, sériel: des cathédrales de Rouen aux séries TV. L’art moderne et postmoderne.
Sommeil: pas de cinéma sans sommeil, pas de création sans sommeil, pas de sommeil sans création. Somnolence, hypnose, contemplation, étirement du temps, simulacre de la mort.
Station: stationner, s’arrêter, marquer la pause, marquer le temps.
Style: vision, pas accessible par l’intelligence. Le style c’est le fond, la forme et le sensible.
Temporalité: allure furtive, soudaine, ponctuelle, accidentelle, aléatoire, éternelle, provisoire, éphémère.
Structure: dispositions qui renvoient à des positions relatives, ordonnées de proche en proche, suivant des états d’équilibre… (Gilles Deleuze, Le pli). Autant dans le temps que dans l’espace.
Syncope: syncope, syncopé, syn-co-pé.
Toxicité: vers une désintoxication esthétique.
Passage: nostalgie, peu d’intérêt. Voir Walter Benjamin, la référence.
Parcours: errance, hésitation, à tâtons, balises, trajectoires.
Perception: origine et développement du et des rythmes. Ne pas confondre avec sensation. L’expérience cinématographique sera perception.
Politique: le politique, pas la politique. Apprendre à vivre ensemble.
Provocation: à éviter. Sans intérêt.
Trajectoire: continuité et/ou discontinuité
Traitement: salaire.
Rotation: tordre l’image, tordre les images, enfin !
Visuel: pas nécessairement iconographique, ni figuratif ni abstrait. Sensible, efficace et tordu.